Par l’arrêt C-485/24 du 11 décembre 2025, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation française, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté d’importantes clarifications quant à l’interprétation de l’art. 8 du Règlement Rome I (Règlement (CE) n° 593/2008) relatif à la loi applicable aux contrats de travail. Cette décision revêt une importance particulière pour les entreprises multinationales et, surtout, pour les secteurs caractérisés par la mobilité transnationale des travailleurs, tels que le secteur des transports.

L’affaire concernait un chauffeur employé par une société de transport luxembourgeoise, dont le contrat prévoyait l’application du droit luxembourgeois. Au cours de la relation de travail, toutefois, l’activité professionnelle s’était progressivement concentrée en France, où le salarié avait en dernier lieu exercé plus de la moitié de ses fonctions. À la suite de la proposition de réduction du temps de travail formulée par l’employeur et du licenciement ultérieur, le salarié a saisi les juridictions françaises. Après un premier rejet, la cour d’appel de Dijon a estimé applicables les normes impératives françaises, qualifiant la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient de rappeler que le Règlement Rome I limite la liberté de choix des parties quant à la loi applicable, en ce que ce choix peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix. Afin de déterminer la loi applicable dans ce cas, le Règlement retient deux critères de rattachement principaux : celui du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail ou, à défaut, celui du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur. Toutefois, selon le Cour, ces deux critères de rattachement ne s’appliquent pas lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre Etat, auquel cas la loi de ce dernier doit être retenue.

Selon la Cour, pour apprécier l’existence d’un lien plus étroit, le juge national doit procéder à une analyse globale de la relation de travail, en prenant en considération des éléments tels que le lieu où le salarié exerce la partie substantielle de son activité, le pays dans lequel il acquitte ses impôts, le régime de sécurité sociale applicable et le dernier lieu de travail habituel. Même si cela peut entraîner l’application successive de différentes normes impératives au cours d’une même relation contractuelle, un tel effet est jugé compatible avec l’objectif principal du Règlement Rome I, à savoir assurer la protection la plus étendue possible du travailleur, partie faible au contrat.

Sur le plan opérationnel, l’arrêt confirme le caractère dynamique de la loi applicable aux contrats de travail transfrontaliers. Les entreprises ne peuvent se limiter à déterminer la loi régissant le contrat au moment de sa conclusion, mais doivent suivre dans le temps l’évolution concrète de l’activité professionnelle. Un changement durable du « centre de gravité » de la relation peut en effet imposer l’application d’un autre ordre juridique impératif.

En conclusion, la Cour affirme que, lorsque le lieu de travail habituel se déplace durablement vers un autre État membre, cette circonstance doit être prise en compte au titre du critère du lien le plus étroit, en laissant au juge national le soin d’apprécier globalement les circonstances de l’espèce. Ce principe renforce la protection du travailleur mobile et impose aux opérateurs économiques et juridiques un niveau d’attention accru dans la gestion des relations de travail transnationales.