Dans la décision Gazprom du 13 mai 2015, la CJUE a eu une nouvelle fois l’occasion de se prononcer sur la question des effets des anti-suit injunctions en droit procédural européen. La décision a été rendue dans le cadre d’un litige entre la société Gazprom et l’Etat Lituanien, tous deux actionnaires de la société Lietuvos Dujos AB.
Dans les faits, le Ministère de l’Energie de la République de Lituanie, soupçonnant des activités inappropriées concernant la fixation du prix du gaz, avait saisi le Tribunal régional de Vilnius d’une requête en vue de l’ouverture d’une enquête visant la société Lietuvos Dujos AB, le directeur général ainsi que deux des membres de la direction de la société désignés par Gazprom. La requête était fondée sur une procédure d’enquête sur les activités d’une personne morale et ses organes, propre au droit lituanien. A terme, il s’agissait essentiellement d’obliger la société à ouvrir des négociations sur un prix d’achat du gaz approprié.
Considérant toutefois que ce recours violait la clause d’arbitrage contenue dans le pacte d’actionnaire, la société Gazprom a saisi l’institut d’arbitrage de la chambre de commerce de Stockholm, afin qu’il soit mis fin à l’examen de l’affaire par le tribunal régional de Vilnius. Avant même que le Tribunal régional de Vilnius ne rende sa décision, le Tribunal arbitral a, par sentence du 31 juillet 2012, enjoint le Ministère de l’Energie de la République de Lituanie de retirer ou de réduire certaines demandes dont il avait saisi les juridictions lituaniennes.
Le Tribunal régional de Vilnius a néanmoins, par ordonnance du 3 septembre 2012, confirmé sa compétence et donc celle des juridictions étatiques et a ordonné l’ouverture d’une enquête. Les défenderesses ont formé un appel contre cette ordonnance devant la Cour d’appel de Lituanie. Gazprom a, dans une procédure parallèle sollicité la reconnaissance de la sentence arbitrale du 31 juillet 2012 en Lituanie. La Cour d’appel de Lituanie a rejeté ces deux demandes et chacune des deux ordonnances a respectivement fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême de Lituanie. Cette dernière a posé à la CJUE plusieurs questions relatives à la délimitation entre l’arbitrage et le Règlement 44/2001, dit « Bruxelles 1 ».
Selon une jurisprudence antérieure de la CJUE, les anti-suit injunctions transfrontalières rendues par des juridictions étatiques sont contraires au règlement « Bruxelles 1 » (Turner ./. Grovit, C-159/2). Selon la CJUE, il en va de même lorsqu’une anti-suit injunction est rendue par une juridiction étatique en vue de permettre une procédure d’arbitrage (Allianz ./. West Tankers, C-185/07).
En revanche, la CJUE a, en l’espèce, jugé que des anti-suit injunctions prononcées par des tribunaux arbitraux ne sont pas soumis au Règlement « Bruxelles 1 ». La CJUE indique que l’arbitrage est expressément exclu du champ du Règlement (article 1er, al. 2, d), et que la procédure de reconnaissance et d’exécution d’une sentence arbitrale relève du droit national et international applicables dans l’Etat dans lequel la reconnaissance et l’exécution sont demandées.

CJUE, 13 mai 2015, Gazprom, C-536/13